GRANDADDY
est un groupe qui a priori pourrait inquiéter ou ne pas intéresser
: ils sont californiens, une région qu'on associe plutôt aux
mégapoles, aux plages du Pacifique, et, au choix, aux américains
surfeurs blonds,bronzés et à tête vide (l'un des membres
du groupe a d'ailleurs été champion de skate dans sa jeunesse)
ou aux rappers sucrés à chaîne en or. De plus, la musique
de Grandaddy n'est pas sans rappeler parfois le Neil Young des années
70 et la musique West Coast, et Jason Lyttle, le leader du groupe, cite
le Jeff Lynne d'Electric Light Orchestra comme son compositeur préféré
!!
Heureusement, Grandaddy ne répond à aucun de es clichés.
C'est au contraire un groupe paradoxal, qui n'est jamais là où
on l'attend. Et ça commence avec le nom du groupe : ce n'est pas
tous les jours que des jeunes rockers décident de se faire appeler
"Pappy" ! Et si ce sont bien de jeunes californiens, blonds pour
certains d'entre eux, il y en a quand même deux qui portent des barbes...
de grand-père justement. Et puis, la Californie c'est Los Angeles
et San Fancisco, mais c'est aussi et surtout, on ne le sait pas toujours,
des montagnes désertiques qu'on rencontre dès qu'on quitte
les autoroutes (comme la région de la Sierra Nevada, où Jonathan Richman vit depuis quelques années).
Si on en croit cette photo-souvenir tirée du site de leur label,
Grandaddy a même un temps répété en plein air
dans les montagnes californiennes :
C'est vrai qu'avec un nom de groupe pareil, je ne me suis pas
intéressé tout de suite à Grandaddy quand les premiers
articles sur eux sont parus dans le NME. En fait, c'est Joey Burns et OP8 qui m'ont mis la puce à l'oreille quand,
lors de leur concert à Reims en octobre dernier, ils ont commencé
par me demander si je connaissais le groupe, avant quelques heures plus
tard de jouer en rappel une reprise de Granddaddy, "Taster", très
beau morceau assez hypnotique dont la mélodie s'accroche longtemps
à votre mémoire. Il n'est pas étonnant de voir des
membres de Giant Sand s'intéresser à Grandaddy, puisque, comme
le précisent quasiment toutes les interviews que le groupe a données
depuis six mois, les deux groupes ont sympathisé lors d'une tournée,
et c'est grâce à Giant Sand que Grandaddy a pu signer chez
Big Cat/V2.
Peu de temps après ce concert d'OP8, "Under the western freeway",
le premier album de Grandaddy, est sorti. Dans un premier temps, après
l'avoir juste survolé, c'est surtout le morceau "A.M. 180",
qui a retenu mon attention. C'est un "tube" pop punk en puissance,
avec une accroche mélodique jouée sur un synthé qui
sonne antédiluvien, et la voix de Jason Lytle que je découvrais,
douce, presque fluette, bref tout sauf une voix de barbu.
Avec le temps, je me suis quand même mis à apprécier
à sa juste valeur le reste de ce très grand album. Un disque
de contrastes bien à l'image du groupe, qui s'intitule "Sous
l'autoroute de l'Ouest" mais se termine par l'enregistrement de grillons...
Un disque qui, outre "A.M. 180", ne contient qu'un seul autre
titre qu'on pourrait imaginer qualifier de pop punk, c'est "Summer
here kids", un hymne à l'été digne du "Here
comes the summer" des Undertones, avec le piano du "Accidents
will happen" de Costello, mais dont les paroles contredisent complètement
le côté enjoué de la musique ("L'été
est là,l'office de tourisme a dit que je prendrais du bon temps,
c'est rien que des sales mensonges, l'été est là, restez
seul, passez un disque, écoutez les chansons, restez à la
maison").
La plupart des autres titres sont avant tout bizarres : plutôt lents
et biscornus, avec la voix fluette du chanteur et des parties de guitare
qui partout ailleurs feraient peur. Mais ce qui sauve Grandadyy et qui en
fait un grand groupe, c'est que, premièrement, les chansons fonctionnent,
et deuxièmement le groupe a la bonne idée de bricoler seul,
dans un petit studio, la production de ses disques. Si jamais un jour Grandaddy
se laisse convaincre de mettre ses chansons dans les mains d'un "grand"
producteur, alors ce groupe sera sûrement perdu pour la hip-pop
optimiste.
Un des titres qui résume le mieux à lui tout seul toutes les
qualités de "Under the western freeway", c'est "Collective
dreamwish of upper class elegance" (quel titre!), où l'on retrouve
Grandaddy tiraillé entre la ville et la campagne ("Je suis là
à jouer de la guitare et boire de la bière en pleine campagne,
après avoir échappé de justesse à mon voyage
en ville, et maintenant c'est dimanche"). un morceau qui démarre
tout doucement, et qui s'il ne se retenait pas partirait dans de grandes
envolées lyriques. Un morceau retenu donc, même et particulièrement
quand, au bout de 2'54, Jason Lytle laisse échapper un "Yeah"
inqualifiable, qui n'aurait sa place dans aucun autre disque dit de rock.
Bien accroché, je me suis alors mis en tête de me
procurer les précédents disques de Grandaddy. Chez Cheap-Cds, j'ai trouvé "A pretty
mess by this one band" ("Un beau bordel par ce groupe-là"),
le mini-album sorti par le groupe en 1995.C'est sur ce disque, beaucoup
plus électrique, qu'on trouve la version originale de "Taster",
le morceau repris par OP8 sur scène,mais aussi une chansonnette sur
un aimable lieu de villégiature de punks à crête ("Gentle
spike resort"), un titre digne des Pixies ("Kim, you bore me to
death"), et aussi quelques petits morceaux et bruitages qui annoncent
déjà bien "Under the western freeway".
Grâce aux soldes d'hiver de Vinyl
Ink, j'ai eu la chance de trouver ce qui doit commencer à être
une pièce rare, un 45 tours de Grandaddy sorti en 1994 sur un petit
label californien, numéroté, avec une pochette sérigraphiée
et trois titres : la même version de "Kim, you bore me to death"
que sur le mini-album, quelques secondes de bruit de guitares du même
genre que ceux que Beck glissait dans ses premiers disques, et la face A,
"Could this be love", avec un Grandaddy pour le coup complètement
rock et complètement électrique, puisqu'à chaque fois
que j'entends l'intro de ce morceau, j'ai l'impression d'écouter
le "Surfer Rosa" des Pixies.
Et puis, vous ne le savez peut-être pas, mais le marché du
disque anglais est fait de telle façon que les singles y ont une
durée d'exploitation commerciale très limitée,ce qui
fait que les maisons disques extraient beaucoup plus de singles des albums
que les américains ou les français par exemple. Ce fut le
cas notamment pour Beck avec "Odelay" (2 singles aux USA, 5 en
Angleterre), et ça l'est avec Grandaddy (3 singles an Angleterre
contre aucun chez eux!). Pour les fans du groupe, ça coûte
cher, mais ça permet à chaque fois d'avoir deux inédits
à se mettre sous la dent. Et pas n'importe quels inédits,
puisque "For the dish-washer", "Levitz" et "12-pak-599"
sont des chansons géniales que beaucoup de groupes auraient gardées
pour mettre sur un album. Les trois autres faces B sont très bonnes,
et "G.P.C.", version punky d'1'40" du "Go progress chrome"
de l'album, surprend particulièrement.
Big Cat, le label anglais de Grandaddy a d'ailleurs vraiment l'air de croire en ce groupe, puisqu'ils les ont fait tourner en Angleterre tout l'hiver et tout le printemps, avant de ressortir en avril 98 (moins de six mois après la première édition) l'album "Under the western freeway". Seul problème : pour mieux faire vendre cette deuxième édition, ils ont inclus un coupon pour recevoir un maxi vinyl 6 titres inédits du groupe, et mes finances et ma conscience m'ont interdit de racheter le même album deux fois en si peu de temps (mais depuis la première rédaction de cet article, et suite à mes protestations de bonne foi parfaitement argumentées, Big Cat a été assez aimable pour m'en offrir un exemplaire!). On peut écouter sur le site de Will Records, qui édite les disques de Grandaddy aux Etats-Unis, un des morceaux de ce maxi, "Levitz", qui est depuis sorti en face B de "Summer here kids".