Oh lala. Kevin
Ayers et bientôt Johnny
Cash dans Vivonzeureux!. Si on m'avait dit ça
en 1989 aux débuts de l'émission Vivonzeureux!, quand je passais
surtout De La Soul, les Pixies ou They
Might Be Giants...
Selon Howe Gelb,
1972 est l'une des meilleures années du rock. Il a d'ailleurs titré
ainsi un court morceau de "Chore of enchantment", et je crois
qu'il cite notamment la sortie d' "Exile on Main Street" des Stones
comme l'une des raisons de ce bon cru.
Ouais, à mon avis c'est sûrement une question de génération.
Jusque très récemment, j'aurais été bien en
peine de citer un seul album de 72 parmi ceux que j'aime vraiment bien.
Ce Stones-là ne m'accroche pas trop. Il y a sûrement eu un
bon Neil Young dans ces moments-là, mais ne me demandez pas lequel.
Ah si, il y a sûrement un Lou Reed solo, ou un Bowie, mais c'est quand
même pas ce qu'ils ont fait de mieux.
Mais bon, comme je disais, je n'avais pas 15-16 ans en 72, ni 12 comme Howe d'ailleurs, sûrement
précoce, et, en tant qu'enfant de la new wave post-punk, les albums
"importants" pour moi sortis de 70 à 75 se sont comptés
pendant très longtemps sur les doigts d'une main (Les Eno solo, Kraftwerk,
Leonard Cohen,...), mais je suis bien d'accord pour dire que c'est avant
tout une question de méconnaissance. Et au temps de la new wave,
fallait pas trop me parler des babas, parmi lesquels j'ai longtemps eu tendance
à classer Kevin Ayers, même si, parmi ses fréquentations musicales,
de Soft Machine à Hatfield and the North, de Robert Wyatt à
Mike Oldfield, il a aussi souvent eu un pied dans les musiques de traverses.
J'avais déjà écouté les premiers disques de Kevin Ayers : le premier album de Soft Machine (qu'il avait déjà quitté quand le disque est sorti en décembre 1968) et ses deux premiers albums solo. Mais, dans le magma des titres enchaînés qui partent dans tous les sens, je n'avais guère retenu que deux de ses chansons les plus connues, "Lady Rachel" (toute l'essence de Paul Roland dans un seul titre, que celui-ci a d'ailleurs repris) et "May I ?", qu'il a aussi enregistrée en français ("Puis-je ?").
J'en étais là avec Kevin Ayers quand mon pote Philippe (qui avait 16 ans plus que bien tassés en 72) m'a prêté "Whatevershebringswesing", son troisième album, sorti en 1972 bien sûr, en me conseillant d'écouter avec attention "Song from the bottom of a well". Ce que j'ai fait, avant de m"intéresser à l'album dans son ensemble puis, ma curiosité éveillée, aux diverses activités d'Ayers pendant l'année 72.
"Whatevershebringswesing", outre ce titre énigmatique,
c'est une pochette des plus bizarres : un poulailler sur fond de paysage
classique, avec au premier plan un panier rempli d'oeufs renversé,
avec des bébés qui sortent des oeufs cassés, et un
gamin qui pisse contre le panier ! Au dos, les enfants, à divers
âges, sont sur les planches du poulailler, et il est écrit
: "pas d'oeufsplication". On n'en cherchera donc pas... Sur les
deux volets de la pochette intérieure, outre les crédits,
une grande photo avec un couple qui se baigne dans la nature (peut-être
bien Ayers et sa petite amie de l'époque, d'après ce que j'ai
lu...). Plus Woodstock, on fait pas !
Une des autres choses bizarres avec ce disque, c'est l'ordre des titres.
On commence avec "There is loving/Among us/There is loving", et
pourquoi pas, puisque ce triptyque où l'on sent fortement la patte
de David Bedford, l'arrangeur-orchestrateur, fait bien le lien avec les
deux premiers albums et le premier Soft Machine, où les morceaux
enchaînés et les suites dominaient des moitiés ou des
trois-quarts de face de disque, tant et si bien qu'il fallait pêcher
les perles pop qui s'y trouvaient au milieu d'instrumentaux et de bidouillages
plus ou moins expérimentaux. Avec "There is loving", pas
d'expérimentation, mais une orchestration qui n'est pas sans rappeler
les compagnons de label de Kevin
Ayers, Pink Floyd.
Les sept autres titres sont des morceaux "isolés", et ce
qui est bizarre, c'est que les deux titres qui suivent sont peut-être
les deux plus faibles de l'album, "Margaret", une balade assez
quelconque, et "Oh my", un titre un peu cabareggae dans une veine
souvent exploitée par Ayers,
mais sans grand relief dans ce cas précis.
"Song from the bottom of a well" arrive alors comme un ovni dans
ce disque, voire dans toute la discographie de Kevin
Ayers. Une boucle sonore qui passe d'une voie à l'autre en intro,
une voix qui semble venir de bien plus profond que le fond d'un puits, une
guitare électrique (tenue par le jeune Mike Oldfield) stridente et
menaçante, des bandes à l'envers, une fin abrupte... Bref,
tous les ingrédients d'un mauvais trip pour un titre plus proche
du heavy rock en train de se développer à l'époque
que du son de Canterbury auquel Ayers
est habituellement associé, un petit joyau gothique dont le son n'a
pas du tout vieilli : on peut s'étonner qu'aucun groupe tendance
un peu corbeau n'ait jamais pensé à le reprendre...
Le contraste est d'autant plus saisissant qu'une fois la face
tournée, on retrouve l'autre sommet de l'album, son morceau-titre,
un chef d'oeuvre que je me garderai bien de trop essayer de décrire.
Disons juste ceci : Kevin Ayers
est réputé pour avoir préféré très
vite le soleil au climat anglais (il a en fait passé sa jeunesse
très loin de l'Angleterre, dans une colonie de l'Empire). Il a séjourné
pas mal de temps dans le sud de la France, et s'est très vite installé
de façon plus ou moins permanente aux Baléares, à Minorque.
Et bien, "Whatevershebringswesing" c'est la balade du bon temps
qu'il a dû prendre, un soir d'été, au soleil couchant
(le titre de cet article vient du refrain : "Prenons un verre et aussi
du bon temps, et si tu veux vraiment y arriver, laisse le bon temps te prendre").
Tout est pafait dans cette version : la basse en intro, les choeurs, la
guitare légère, l'orgue discret, les paroles, le tout étant
sublimé par les choeurs de Robert Wyatt, comme ce sera le cas deux
ans plus tard pour le "Put a straw under baby" d'Eno.
Pour "Stranger in blue suede shoes", qui sortit en simple avant
l'album, Ayers semble puiser
dans les clichés de la culture rock (le titre, le riff à la
"Sweet Jane" et le chant qui semble parodier Lou Reed) et prendre
ses distances avec les idéaux babas (les paroles, où un simple
joint transforme un serveur obtus en baba cool qui s'affranchit des règles
et prend la route !).
Beaucoup de distance encore pour "Champagne cowboy blues", qui
démarre encore dans un style un peu cabaret, puis déboule
un solo de guitare qu'on jurerait lui aussi sorti d'un album solo de Brian
Eno (mais ils n'étaient pas encore enregistrés !), puis arrive
ce qui ne s'appelait pas encore un sample, mais qui sonne comme une fête
de la bière bavaroise !
"Lullaby", comme son titre l'indique, est une berceuse instrumentale,
probablement orchestrée par David Bedford, dominée par la
flute de Didier Malherbe (le français de Gong), qui clôt calmement
l'album.
Kevin Ayers a donc une réputation de baba bon vivant, ayant assez vite fui certains aspects du show-business (il quitte Soft Machine après une longue tournée américaine en première partie de Jimi Hendrix...), mais le moins qu'on puisse dire, c'est qu'au moment de "Whatevershebringswesing", il a été des plus actifs, et l'intérêt pour nous, c'est que depuis cett époque, plusieurs enregistrements jusque-là inédits ont été édités en CD :
Comme l'a dit Ayers en 72, "Je crois au changement. J'aime arrêter quelque chose qui est devenu trop confortable et essayer autre chose, sinon je me sens trop mécanique". Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il a mis ses actes en accord avec ses paroles ! Allez, n'hésitez pas plus, donnez du bon temps à vos oreilles avec les disques de ce baba inventif...
Whatevershebringswesing album, Harvest ou
Beat goes on ou MSI, 1972
Bananamour album, Harvest ou Beat goes on ou MSI,
1973)
Odd ditties album, Harvest, 1976 (compilation non
disponible en CD)
Banana productions, the best of Kevin Ayers album,
Harvest, 1989
The Kevin Ayers collection album, See for miles ou
MSI, 1990
BBC Radio 1 live in concert album, Windsong ou MSI,
1992
Singing the bruise album, Strange fruit, 1996 (BBC
sessions)
Banana follies album, Hux, 1998
Too old to die young album (BBC sessions)
Pour en savoir plus :
http://www.ping.be/kevin-ayers
(site officiel)
http://www.users.globalnet.co.uk/~marwak
(fanzine Why are we sleeping)