VIVONZEUREUX!
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14 octobre 2007
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la vie secrète deMEDIA FODDER |
Une vie, c'est fait en grande
partie de rencontres. Dans cette nouvelle chronique, Media Fodder nous raconte
quelques-unes de ses rencontres les plus marquantes.
Contact Media Fodder/Dominique Levillain : http://ecoutenmouvement.free.fr/
SOMMAIRE
1. La rencontre avec Family Fodder
2. L'aventure de Family Flooder
3. Comment Robert Wyatt m'a sauvé la vie
J'avais fait une petite bêtise. C'était un peu grave mais
on aurait pu tout arrangé, mais c'était pas comme ça que
l'histoire voulait se raconter. Vous savez c'est un peu comme dans l'improvisation
il y de la musique et puis la dedans il y a une chanson qui veut se faire entendre
et prendre vie. C'est pas forcément ce dont avait envie mais c'est quand
même la petite chanson qui gagne.
Donc la petite bêtise est devenu une catastrophe.
Alig, John Robert Pearce, grand ténébreux devant l'éternel
de l'époque, m'a quittée, emmenant avec lui toutes ses affaires,
sa musique, son talent, sa magie et un ananas que je lui donnais avant qu'il
ne s'en aille parce qu'il les aimait beaucoup à ce moment là.
Et il est parti avec l'ananas aux airs de couronne sous le bras.
Je suis restée là dans l'appartement du rez de chaussée
de Romilly Road, avec son jardin pas cultivé plein de chats errants,
sa cuisine, son petit escalier de trois marches. Sa salle de bain où
parfois le diable venait agacer ma petite Monelle et que je chassais à
grands coups de taloches dans l'air et de sauts furieux à pieds joints,
ce qui faisait son effet et rendait le bain paisible et réconfortant
après les célèbres longues journées de pluie...
La chambre d'enfant, et puis le living room qui était meublé de
trucs qu'on avait récupérés dans la rue et un petit piano
droit, une télé noir et blanc qu'on avait peinte en couleur pour
avoir une télé couleur et que l'on grattait régulièrement
un peu de sa peinture pour voir finalement ce qu'il y avait sur l'écran.
Les deux chattes, Blanche et Sherley conçues et nées sous mes
yeux et que j'enterrerai 19 ans plus tard dans un jardin du sud de la France...
Monelle partie en vacances chez ses grands parents pour deux mois de soleil
absolu.
C'était à la fin de l'enregistrement de l'album Monkey Banana
Kitchen. Je ne pouvais plus aller enregistrer. Pour le titre «Darling»
je n'y suis pas. Ce chant là je n'y suis pas... « Tu peux venir
si tu veux », avait dit Alig, mais je fuyais comme un vieil arrosoir.
tout s'échappait de moi. L'amour la musique, le sommeil, la faim il n'y
avait plus rien qui tenait ....
J'avais tout perdu, l'amour de ma vie, la famille Fodder, la musique, tout.
Les chattes me gardaient à tour de rôle pour ne pas me laisser
seule. Mignons les chats.
Puis je rôdais je ne sais où, comme un zombie avec dans la poche
une barrette de tosh que je croquais de temps en temps comme du chocolat. Je
voyais les autres vaguement - c'est le moins que l'on puisse dire, dans l'état
fumeux dans le quel je me mettais.
L'abandon a toujours pris de proportions hors gabarit chez moi....
Je me souviens de voir Charles Bullen de This Heat et de lui dire « Si
seulement je pouvais voir Robert Wyatt ça irait sûrement mieux
».
L'alchimie subtile qui se faisait entre son "Rock Bottom" et mes oreilles
dans la petite cabane que je suis, m'apportait à chaque écoute
un soulagement, un oubli de tout, juste les ondes. il n'existait plus que les
flots de musique et la voix de Monsieur Wyatt. rien que du bonheur! Les rares
instants d'alors dans les quels je vivais, le reste du temps c'était
plutôt Osiris qui veillait sur moi!
Le carnaval de Nottin Hill Gate, quelle année? 80... J'y vais... C'est
au mois d'août. Et je rencontre quelques visages connus devant la porte
d'un pub, peut-être, et le visage de Charles Bullen qui vient me dire
« Si tu veux voir Wyatt, il est là-bas devant chez Rough Trade
»
J'ai couru, je l'ai vu dans son fauteuil roulant, je me suis agenouillée
et j'ai posé ma tête sur ses genoux, sur ces pauvres petites jambes
en versant des baquets of tears.. Le pauvre bonhomme il se demandait bien ce
que je venais faire là, mais il me tapotait la tête gentillement
...pat ...pat ...pat... "Qu'est ce qu'il y a Darling..." et moi je
pouvais rien dire bien sûr puisque je faisais de l'eau on peut pas tout
faire à la fois....
Il ma donné son adresse et son téléphone à Wimbledon.
J'ai appelé, on s'est donné rendez-vous et je suis allée.
Nous avons passé l'après midi ensemble à parler de tout
de rien, on a bu du thé puisque quand même on était en Angleterre,
on a joué un peu à cahe-cache et puis on a sorti le chien au parc
voisin et puis on a parlé de choses un peu plus intimes, comment il était
arrivé sur son fauteuil roulant, comment sa femme l'avait poussé
à poursuivre sa carrière de musicien, comment la sexualité
n'était plus rien... il s'est fait tard, il m'a tendu sa bouche je l'ai
embrassé sur le front je suis repartie... le coeur léger, pas
toute guérie, mais vivante.
Merci, je les aime.
Le bonheur est dans le pré, cours y vite! cours y vite!
Le bonheur est dans le pré cours y vite, il va filer.....
C'est assez difficile d'isoler des moments de sa vie.
Oui les moments heureux.... Tout est si étroitement tissé.
Je me souviens quand j'étais une petite fille de mon jardin et de ses
métamorphoses en suivant les saisons.
J'adorais mon jardin. il me tenait compagnie en fait.
J'aimais surtout les soirs. Je descendais après le dîner et je
rentrais dans un autre monde où tout me parlait.
On y accédait en passant par la buanderie où il y avait aussi
la chaudière et les caisses des chiens qui dormaient là au chaud.
Un lavoir à deux bacs assez grands dans les quels j'ai vu les femmes
de la maisons faire la lessive à l'ancienne, avec une grosse lessiveuse
d'où l'on extrayait le linge fumant et qui subissait la vigueur des bras
pour être rincé puis essoré. Puis on devait monter les trois
hautes marches pour aller dans la cour où il y avait les fils à
linge pour l'étendre... L'hiver le linge gelait. les draps en carton
c'était drôle... On gardait l'eau chaude pour les bains...
Avant d'arriver dans le jardin il fallait traverser la cour, une cour cimentée
et une barrière couverte de rosiers grimpants. il y avait un rosier rouge,
puis un églantier rouge aussi. La barrière proprement dite devait
limiter le territoire des chiens mais elle n'avait pas plus d'efficacité
qu'une frontière de campagne sans douaniers. Quoi qu'avec les années
la barrière c'est vue augmentée d'un cadre de bois tendu de grillage.
La végétation elle même s'etait associée à
la lutte contre l'envahisseur-chien en formant un arceau joignant l'églantier
rouge et le rosier pompon rose et touffus de l'autre bord. Il y avait un buisson
de fleurs petites et blanches dont je n'ai jamais su le nom et pour le quel
j'avais une sympathie modérée, car, en fait, toutes les plantes
avaient une personnalité et une influence bien établies et des
rôles bien précis.
De l'autre coté de cette frontière était le jardin. Le
vrai. Les lilas, à chaque printemps engendraient une foule de rejets
dans laquelle émergeaient les jonquilles et les narcisses : il fallait
les chercher dans la densité des petits lilas en « herbe »,
un jeu de cache-cache où les plus furtives gagnaient la partie en montrant
enfin leur petites têtes jaunes ou blanche qui me faisaient rire de surprise.
De chaque côté de l'allée centrale, mal cimentée,
il y avait deux gros lilas, mauve clair à gauche et violet foncé
à droite. Mais la même flore envahissait les dessous. J'adorais
le parfum des lilas. J'adorais les parfums du jardin en général
mais les lilas me donnaient l'eau à la bouche je buvais leur odeur. Elle
me remplissait, me saoûlait, j'hésite à dire, le mot mais,
oui, si j'ai une idée du bonheur ce parfum-ci en est une clef. Aujourd'hui
encore je ne peux résister à l'appel que me fait le lilas et malgré
mon incessant mouvement de ville en ville et de pays en pays je trouve toujours
un lilas pour venir rafraîchir mon coeur... D'ailleurs c'est la saison
en ce moment et je sais où il y en a un... je les guette dans les rues
et je vais les saluer comme il se doit.
Au-delà des lilas sur la plate bande de gauche il y avait deux touffes
de pivoines : de longues et fines pivoines blanches et roses et de plus trapues,
plus courtes sur pattes d'un beau rouge profond. J'ai passé de nombreuses
heures assise auprès des pieds de pivoines dans un état de recueillement
je ne savais pas alors que c'était du recueillement . J'étais
fascinée par l'apparition des tiges rouges et drues qui sortaient du
sol, je les sentais en moi dans mon corps même, il y avait quelque chose
d'organique entre elles et moi : elles poussaient en moi. Je les voyais pousser,
je les entendais, même, se hisser au dessus du sol et porter de toutes
leur force les petites boules rouges luisantes et sanguines. Je sentais la force
contenue dans ces bourgeons discrets dans les quels je savais la présence
de l'éclatante beauté de la fleur si grosse, malgré l'étroitesse
de l'étui dans le quel chacune d'elle était enserrée. Je
voyais l'effort incoercible des pétales. D'abord un craquellement des
sépales et un pétale réussissait la percée de cette
coquille et tous les autres pétales alors se ruaient vers la lumière....un
parfum délicat s'en suivait comme un repos bien gagné. Je ne sais
pas d'acte d'amour physique aussi réussi que l'éclosion des pivoines
blanches.... les pivoines rouges étaient plus lascives et pourtant moins
érotiques et d'un parfum plus lourd...
Puis il y avait le chèvrefeuille. Lui c'était un coquin il grimpait
partout avec ces mille petites cornes sur les murs et le toit du cabanon en
brique. Il y avait là toujours une nichée de merles dont je ne
parlais à personne puisse qu'ils me l'avaient instamment demandé.
Il ne faut pas déranger les oisillons et leurs parents. ils n'aiment
pas ça.
Accolée à cette petite maison, un ancien poulailler avec des clapiers
désormais et définitivement vides, maintenait une sorte d'équilibre
avec une vigne dont le raisin n'arrivait que rarement à maturité
mais dont les vrilles craquaient sous les dents et dont le jus rivalisait dans
la réussite des concours de grimaces avec celui de l'oseille... Il n'y
avait pas de prunelles dans le jardin ... Un prunier, par contre, dont les fruits
des plus basses branches étaient la réserve personnelle des chiens
qui se tenaient sur les pattes de derrière afin de choisir les plus murs.
Les fraisiers n'avaient pas résister à leur gourmandise dévastatrice.
La bordure de l'allée était faite d'oseille. J'en ai mangé
plus que les escargots, j'en suis certaine, quoiqu'il y avait beaucoup d'escargots,
il était hors de question qu'on les tuent j'aurais hurler de colère...
J'en avais découvert deux sous un vieux couvercle abandonné, reliés
l'un à l'autre par deux filaments qui les interpénétraient
et quand j'ai essayé de les séparer, j'ai su qu'on ne dérangeait
pas, non plus, les escargots sous les couvercles. Je les ai rendu à leur
occupation, reposé sur eux le couvercle en espérant beaucoup de
petits escargots dont je regarderais la petite bouche bien dessinée broder
les feuilles d'oseille... C'est un peu comme ça que j'ai su pour les
fleurs et les abeilles et tout et tout...
Mais de toute façon j'étais la fée du jardin... je courrais
avec la lune qui voulait bien se prêter à ma toute puissance de
jardinière magique et la haie de rosiers géants qui clôturaient
l'espace de mon royaume de celui des voisins, applaudissaient à grands
coups de fleurs de toutes les couleurs. Mon père les avait plantés
là pour ma joie.
Magicienne je faisais des croisements entre les rosiers. Des greffes imaginées
mais qui, en une occasion, au moins, me donnèrent la consécration
de mon rêve, je crois. L'étonnement m'a-t-il été
donné dans mon sommeil, je ne m'en souviens plus, mais là sur
cette branche de rosier simple et pâle avait fleuri une rose en robe bouffante
à jupon comme celle que je portais moi aussi certains dimanches.
Et puis il y avait cette cérémonie imaginaire dans laquelle je
sculptais le corps d'un bébé que je déposais sur la terre
généralement destinée aux rangs sérieux des
pommes de terre et je saupoudrais le petit corps d'un voile ténu
de terre. Je confiais à la lune le trésor et je rentrais à
la maison pour me coucher... De cette cérémonie désincarnée
j'espérais la venue d'un autre enfant pour me tenir compagnie. Je n'attendais
cependant pas de ce monde onirique que le voeux fût exhaussé, mais
dans un autre crépuscule, debout dans le jardin, je recommençais
la mise en scène secrète, dernière célébration
avant de rejoindre le monde des humains.
Mes premiers voyages m'ont emmenée découvrir pourquoi le seringa
derrière la clôture de rosiers-gardiens avait choisi le territoire
voisin pour distiller ses effluves si précieuses. Le jardin des voisins
était un territoire vierge de toute habitation, à part une petite
bicoque en bois.... Mais la Californie et ses forêts de séquoias
géants, ses plateaux se cassant dans le Pacifique en falaises sèches
et ses immenses prairies peuplées de biches pas sauvages du tout, n'ont
été qu'un avatar du mystère de douceur que le jardin des
voisins m'a offert. J'y ai découvert la liberté la plus farouche.
J'avais 6 ans.
Je ne me souviens plus exactement
de l'année de cette histoire. Peut être 1987. Ni de qui était
composée l'équipe de musiciens. Nous avons roulé pendant
des heures comme à l'habitude. Nous étions arrivés grâce
à l'incroyable sens de l'orientation d'Alig dans la ville inconnue au
lieu de concert.
Une fois le matériel installé sur scène, l'organisateur
nous conduisit vers l'hôtel où nous devions passer la nuit. Nous
grimpons les escaliers avec les valises et sur le palier, j'avise un meuble
bas sur lequel est posé un bouquet dans un pot. C'était des herbes
séchées : de fines tiges duveteuses souples et bouclées,
une sorte de chevelure d'un blond très clair. Il était à
l'identique du dernier bouquet que mon père avait rapporté à
la maison quelques mois avant de nous quitter en 1982. Je trouvais surprenant
de voir ce même bouquet, nous étions en Autriche. Ces herbes-là
ne pouvaient pas pousser dans cette région puisqu'elles poussaient dans
le sud de la France.... Il faut croire que si !
Dans les pays germaniques, j'avais toujours une appréhension compulsive.
Les camps de concentration dans lesquels mon père avait payé le
prix de son engagement contre le fascisme ont laissé des traces incoercibles
contre lesquelles je lutte encore sans une once de « revenchardise ».
C'était étrange ce bouquet, comme un clin d'oeil de mon père...
Enfin c'est ce qu'il m'est venu à l'esprit.
Je n'ai pas un souvenir impérissable du concert ...
Après le rangement du matériel, nous nous séparons. Deux
des musiciens partent en virée et nous trois, Alig,
John et moi rentrons sagement à l'hôtel, contents d'aller se reposer
au calme. Nous nous installons dans la chambre à trois lits qui nous
étaient dévolue, ouvrons une bière et fumons un petit peu,
tout en commentant la soirée et prêts à écouter l'enregistrement
du concert pour voir un peu ce que nous avions performé. John décide
d'aller prendre une douche. Il sort de la chambre, la salle de bain était
un peu plus loin sur le palier. Nous restons douillettement calés dans
nos oreillers. On entendait bien un bruit d'eau, ce qui semblait normal... Quelques
minutes plus tard, mais bien une dizaine quand même - le temps est une
notion très facile à maîtriser pour les musiciens - John
réapparaît dans l'encadrement de la porte, entièrement mouillé
de la tête au pied et entièrement habillé aussi, de la tête
au pied....« John on se déshabille pour se doucher.... oui? »
est ce qui est sorti synchrone de la bouche d'Alig et de la mienne. mais ça
n'a pas fait rire John...
Il nous traîne donc dans le couloir pour nous faire constater que la conduite
d'eau alimentant le réservoir des toilettes avait littéralement
explosé et qu'il y avait là un magnifique jet d'eau, très
élégant et harmonieux qui déversait des litres sans compter.
John avait tout essayé pour endiguer la fuite massive avec un système
de seau incliné vers la cuvette ... mais rien n'y faisait, l'eau coulait,
coulait, coulait. Bientôt l'eau se glissa dans le couloir. Nous faisions
un bruit d'enfer, essayant de trouver quelqu'un pour nous aider... pas âme
qui vive... Personne ... nous devions être seuls dans le bâtiment.
Le temps passe, les deux autres musiciens rentrent à leur tour et contemple
le désastre grandissant : l'eau commençait à descendre
dans les escaliers. Nous allons dans la rue pour trouver de l'aide : une cabine
téléphonique... il doit être 4 heures du matin . On trouve
le numéro des pompiers, ou je ne sais quel service d'urgence... Mais
à cette heure et avec un accent fort peu germanique nous ne sommes pas
crus... un type ivre plus que de nature vient contempler lui aussi les dégâts
et nous avons beaucoup de mal à le remettre dans sa direction...
Finalement, dans un placard du couloir on trouve une vanne, on la ferme, et
l'eau s'arrête.
On se couche enfin et on s'endort... sans douche...
Le lendemain matin Alig vient me réveiller en me disant que le propriétaire
de l'hôtel est fou de rage. Je descends pour donner un peu ma position
dans l'affaire... A ma grande surprise, la salle du petit déjeuner est
pleine à craquer...? Je commence par demander au patron si tous ces gens
là ont dormi dans l'hôtel. « ya ya », me répond
le bonhomme tout à sa rogne... « Mais comment se fait-il que personne
ne nous ai entendu cette nuit, et vous même vous dormez dans ce lieu?
». « ya ya ». J'en déduis que nous ne devions pas être
dans le même espace temps... Quelle pagaille, j'explique que nous avons
fait un barouf monstre et que personne n'a bronché et que par conséquent
on ne pouvait pas nous tenir rigueur de cette histoire, que non, nous n'avions
pas pris de LSD et pas non plus voulu arracher la conduite des toilettes...
non, sincèrement...
L'organisateur du concert arrive et calme le jeu. Il vient nous proposer, pour
nous remettre de la mésaventure, une petite excursion dans les alentours.
On se remplit le ventre et hop ! on part pour la ballade.
Jolie, la campagne. Puis, sur le haut d'une colline vers laquelle nous nous
dirigions je vois des structures, genre pylônes. En se rapprochant je
dois me rendre à l'évidence que nous approchons d'un ancien camp
de concentration. Oui. C'est Mauthausen. Visite.
Non, je n'irai pas et Alig non plus. Les autres partent. Au bout d'un moment
je me décide à y aller quand même, mais seule. Je passe
la guérite où l'on doit payer son ticket d'entrée. Je fais
signe à la « gardienne » que je vais y aller comme ça.
Elle ne fait pas de commentaire et j'entre.
Je reste là debout en apnée temporelle. Une sensation : sous mes
pieds je sens comme des petites flammes qui dansent et qui me disent «
chante pour nous, vas-y chante pour nous ». Je vais dans les baraques.
Je vais au lieu de la fosse commune. Je vais appuyer mon dos au mur du peloton
d'exécution contre lequel j'ai été appuyée si souvent
dans mes rêves d'enfant et d'adolescente. J'appuie mon dos. J'ai les yeux
grands ouverts. Il fait soleil. je regarde le ciel bleu. Je vais dans les champs
alentour peuplés de sculptures d'artistes du monde entier. Je repasse
devant le mur. j'arrive au pied des escaliers qui mènent vers la grande
porte, et là je dois lutter contre une force incroyable qui m'empêche
d'avancer. Je comprends. Les hommes qui ont été enfermés
là, même s'il ont survécus, n'ont jamais pu sortir réellement
des camps.
Voilà le bonheur enfin que je raconte.
Au concert suivant, je ne sais plus dans quelle ville... L'audience est là.
Monter sur scène et attaquer le premier morceau est ce qu'il y a de plus
dur. Ce soir là, les milles petites flammes sont revenues sous mes pieds,
j'ai ouvert la bouche et j'ai chanté. Ce soir là, j'aurais pu
ne pas ouvrir la bouche et croiser les bras en m'appuyant contre un des piliers
de la scène, ça aurait chanté quand même. Et dans
l'audience, je voyais des petites lumières qui s'allumaient. Ce n'était
pas les briquets, c'était le bonheur des gens heureux de nous entendre
faire de la musique.
Alors, pour en revenir à l'inondation, au bouquet d'herbes folles et
éternelles, j'y ai vu un méchant gag que les mannes de mon père
avaient projeté là, pour rire : Familly Flooder avait frappé
sans cruauté.
Le lendemain il faisait beau, bien que l'automne fût bien avancé
et je me suis baignée dans une petite rivière affluent du beau
Danube bleu.... Flood en anglais c'est inondation, bien sûr !
Prêtez moi vos petites
oreilles que je vous conte la fabuleuse histoire de ma rencontre avec the Family
Fodder. Si si, c'est comme un conte de fées. Difficile à croire
dans notre monde matérialiste et plutôt hardcore, mais si je devais
calculer selon les lois mathématiques les probabilités pour que
cette rencontre existât, le chiffre qui apparaîtrait tendrait à
prouver l'existence de l'abstraction du parfait zéro.
Tout a commencé bien avant que je ne pose pied à Londres même.
Je vivais alors dans le sud de la France dans un microcosme dont l'étoile
était Ursula Vian, la deuxième femme de Boris. Une petite foule
de doux rêveurs surréalisants et certainement psychédéliques
qui se nourrissaient du Velvet Underground, de Soft Machine, de Santana, du
Captain Beefheart, de Henry Cow... du matin au soir et du soir au matin.
Pouvais-je rester là?
Peu de temps avant de partir, un de mes amis m'a donné une copie d'un
album que j'aimais plus que tout autre : Quiet Sun. le Soleil Tranquille.
Quitté le job à l'Université, acheté un violon,
l'instrument de mon enfance, tenté de jouer sur mon morceau préféré.
Le nouveau port d'attache était un patelin perdu de la Champagne près
de Reims, soixante dix âmes rugueuses : Monthelon. Je mijotais là
en vendant des bananes dans le super marché d'Epernay pour nourrir les
deux zartistes, peintre et musicien, et ma première fille Monelle avec
les quels je vivais. Pauvres comme Job rien n'a changé - mais
dégustant du champagne à l'ancienne oublié à la
mort des anciens locataires, dans les « dépendances » de
la maison dans la quelle nous résidions, qui, en elle même est
une histoire mais c'est une autre histoire... Reims aussi ce sera pour une autre
histoire...
Je ne pouvais pas rester là.
Je suis partie pour Paris et revendu mon violon.
Mais je pouvais pas non plus rester là...
Pourtant j'avais fait connaissance de quelques représentants de l'intelligentsia
parisienne... Beaudrillard, Tapies, César... Mais non.
J'avais aussi rencontré Viviane. Je vous avais prévenu il y aurait
des fées dans le coup. Celle de la forêt de Brocéliande
où je fus conçue. Viviane était une égérie
du mouvement de la libération des femme : le Torchon Brûle ! Nous
sommes allées à quelques meetings ensemble... Mais non c'était
pas pour moi non plus. Elle aimait mon écriture, c'était nouveau
de séduire avec mes productions... Elle m'aimait bien je suppose! Mais
le hasard, qui n'existe pas, fît que je me rendis dans un parc de Paris
pour combler un après midi solitaire. Là j'ai rencontré
Urban Sax. Quarante saxophonistes emballés dans des combinaisons de spationautes
avec des lunettes à fente jouant tous ensemble une musique surprenante,
envoûtante, pour sûr. Hommes et femmes arrivés sur scène
du fin fond du parc et disparaissants quelques sinusoïdales envolées
sonores plus tard, pour réapparaître encore une fois, disséminés
aux fenêtres d'une grande maison dans un angle du jardin. Puis plus rien.
Silence.
C'étai décidé je jouerai du sax.
Le plan, après avoir tenté le réconfort d'une agence matrimoniale,
fût de partir un an en Angleterre et ensuite un an en Allemagne apprendre
à causer les langues des susdits pays et revenir faire un truc. Lequel,
je savais pas bien mais fallait mettre les voiles : la France c'était
pas ça. Mais j'apprendrai à jouer du sax, ça c'était
convenu entre moi et moi.
J'ai quitté Viviane avec une adresse en poche, celle de l'équipe
de Spare Rib, magasine féministe londonien...
Et hop dans le train à la gare du Nord.
« Je parlerai à personne jusqu'à Londres et je ne prononcerai
plus un mot de français ». Mister Lewis s'est assis à côté
de moi. Bavard, mais australien. Voilà, c'est quand même de l'anglais
qu'il parlait cet homme, la soixantaine, En homme du monde accompli et charmant
il m'a délivrée à la gare de Victoria à ma pas du
tout charmante famille dans laquelle je devais être jeune fille au pair.
Pff! huit jours je suis restée là.
Pouvais pas rester là non plus.
Mais vous devez vous demander où je veux en venir... ça vient
...
Vite. OK. Trouve un job par le relais de Spare Rib dans une famille d'écossais
comédien, peintre. Deux filles à garder 2 heures par jour : Blue
et Sky ( un petit frère naîtra plus tard qui s'appellera Day, donc
nous en sommes à Blue Sky Day...). Elles ont commencé mon éducation
linguistique : « what did the minister said yesterday on the TV? »
, c'était différent de « my tailor is rich » ...
Plein de temps pour moi. Ma chambre : un matelas par terre, une psyché,
une table, une chaise... et du papier format grand aigle. Y'avait de quoi écrire
et la psyché me rendait compte de mes pensées.
Mister Lewis me sortait de temps à autre... C'est un de ces soirs que
j'ai rencontré deux jeunes garçons tout bien gay comme il faut
et qui m'ont confié l'adresse d'une canadienne, chanteuse, bilingue et
qu'elle pourrait m'aider à trouver le prof de sax de mes rêves...
Mister Lewis a quitté Londres avec une mèche de mes cheveux. Non
je n'irai pas vivre en Australie dans sa superbe maison, il ne me jouera pas
de mandoline près de la volière et je ne prendrai pas les amants
qu'il me laissait libre de choisir! J'ai fini d'écrire tout ce que j'avais
à écrire sur mes grandes feuille format grand aigle, j'étais
libre pour un temps de je ne sais quelle prison et l'adresse de la canadienne
réapparut sur ma table.
Je prends RV avec elle...
Chers lecteurs nous y sommes presque mais il a fallu ce petit dédale.
Dimanche après midi, Londres. pas âme qui vive dans les rues. la
station de métro, le plan de navigation pour me rendre chez Miss Canada
et un paquet de clopes dans la popoche. Pas un chat non plus dans le métro,
ni sur le quai , ni dans la rame. Peut être là-bas au fond, mais
pas sûre. La station suivante. Un type tout seul sur le quai, une mallette
à la main. Il monte. il s'assoit pas en face : on est anglais ou on ne
l'est pas, y'a des réserves à tenir quand même ! Me demande
une cigarette à cette époque là on pouvait fumer
partout, c'était il y a longtemps .
Oui, je te donne une cigarette si tu as un sax dans ta mallette.
Voilà ça commence pour de vrai. Il ouvre la mallette et dedans,
quoi? : un saxophone tout doré.
- Tiens, voilà la cigarette.
- Où vas-tu?
- Chez Miss Canada là, et je vais jusqu'à là, et ensuite je prends un autre train et ...
- Non non, tu viens avec moi, l'adresse où tu vas c'est juste deux rues après la mienne...
Il est beau comme tout ce Peter,
franchement... Allez j'y vais. On passe chez lui déposer le sax et papoter
un peu et il m'accompagne deux rues plus loin. Face à sa maison, la maison
de mon RV.
Pas mal hein, les probabilités?
Miss canada est enceinte jusqu'aux yeux et boring comme pas possible. Au revoir
Madame à bientôt, je retourne chez le joli Peter.
- « Et pourquoi tu m'as demandé si j'avais un sax? » Et je lui raconte tout ce que vous venez de lire et que je ne répèterai pas et pourtant ce serait facile, je n'aurai qu'à faire un copier coller ... mais non. « Alors, si tu veux faire de la musique je vais te présenter mon frère, il a un groupe ».
Cold Storage est aujourd'hui un superbe studio très en vogue, paraît-il.
Mais à l'époque bénie dont je vous parle c'était
effectivement un immense frigo pour marchandise. Vraiment grand, encombré
d'un fatras de trucs dont je ne me souviens même pas l'identité.
Ce soir là j'accompagnais Peter pour assister à la répétition
du groupe du frangin Charles. J'ai pas mal fumé de joints dans ma vie
mais ce soir j'avais pas. Pas encore, ou alors je ne me souviens plus. Et pourtant
quand je suis entrée la dedans j'ai vu ces trois bonshommes dont l'un
était à cinquante centimètres du sol dans un halo de lumière
: Gareth. Non il n'y avait pas de poursuite, ni de projecteurs ni de machine
pour le Deus Ex Machina. Non rien, c'était la vision que je recevais
de ces êtres là. Magnifiques. Un son de tonnerre. J'ai assisté
a toutes les répétitions à partir de là. Je ne disais
pas un mot. Je parlais mal anglais, mais c'était pas ça. Les musiciens
que j'écoutais m'impressionnaient, c'est tout. This Heat formé
en 1977 pendant la vague de chaleur qui avait grillé toutes les pelouses
londoniennes centenaires, taillées aux ciseaux d'argent avec amour...
Nous passions des soirées chez Peter, Gareth aussi vivait dans ce squat
de Queens Head Street, Islington, avec son bonnet sur la tête parce qu'il
fallait la garder chaude dans cette maison glacée il avait neigé
pas mal cette année là l'inspiration vient des têtes
chaudes, disait-il. Nous écoutions de la musique bien sûr, mais
aussi des pièces de théâtre étranges : The Fire Site
Theatre... Et puis The Residents et puis d'autres choses dont je ne me souviens
ni les titres ni les noms. Alzheimer me guette, comme disent mes filles !
Parmi les gens qui venaient passer la soirée avec nous il y avait un
grand type sombre qui ne parlait pas beaucoup... mais qui jouait tout le temps
en sourdine sur une vieille guitare toute moche à trois cordes et c'était
toujours chouette ce qu'il faisait...
Un soir nous sommes invités Peter et moi à dîner chez son
frère Charles Bullen et sa copine Mary. Tout This Heat ça
fait jamais que trois personnes, mais bon est là, et je me sens
toujours aussi intimidée par ces gaillards. Dans le petit salon minuscule
il y a une, non, deux rangées de disques à même le sol.
Je ne sais pas quoi faire de mes dix doigts. Alors je fouille discrètement
dans la masse. Et tout soudain voilà qu'apparaît à mes yeux
zébahis l'album de Quiet Sun ! Ah good Lord ! que je me dis, je vais
enfin avoir quelque chose à raconter qui tient la route. Et je m'approche
de l'autre Charles, le batteur magicien Charles Hayward :
- Je connais cet album, je l'ai beaucoup écouté, ai-je murmuré.
- Hey! elle connaît ça , dis donc! Incroyable. Et je me rétrécis de quarante centimètres en pensant que j'ai trouvé le seul album ringard de la pile... Regarde donc qui y joue me dit Charles. Et bien peut être le saviez vous, moi pas, mais le batteur de cet album n'était autre que Charles, le Charles Hayward qui était là en chair et en os!
Alors ça devient bien
mon histoire de maths?
Mais venons en au fait.
Un soir, un autre soir, nous voilà agglutinés dans la chambre
de Gareth. Beaucoup de fumée. On écoute. Ils parlent. j'écoute.
Mais j'écoute toujours ce grand type sombre qui a amené des gâteaux
et qui joue sur la fameuse guitare. Il se lève, descend. Je me lève
et je le suis. nous sommes dans la cuisine. il prépare du thé
je crois. Le sol n'existe plus sous mes pieds. un espèce de grand vide
interstellaire. Et je dis discrètement :
- Je veux chanter avec toi.
- Ah oui. Ah bon. viens demain à six heures au Barbican studio. Nous faisons une répétition.
Nous sommes remontés
sans plus se dire rien.
Descendre dans le petit escalier et frapper fort. Oui. Que c'est escarpé
et que c'est sombre. Dedans y'a de la musique fort. j'attends que le silence
vienne. Et je frappe. Fort. Alig, John Robert Pearce, ouvre la porte, le grand
type sombre. Il est content. Il me présente rapidement aux autres. Il
branche un micro. Le place sur un support. L'ajuste à ma hauteur. Et
la musique reprend comme si de rien n'était.
J'ai chanté. Quoi ? Je sais pas . Ça chante c'est tout. Je n'existe
plus que dans la musique et ce qui se trame à mon insu dans mes cordes
vocales, dans ma gorge, dans mes poumons, dans mon ventre... Et la musique s'arrête
et moi aussi. Alig s'approche de moi et me frotte la tête comme on fait
pour un petit enfant.
Voilà.
Je reviens le lendemain et Alig me raconte l'histoire d'un groupe qui attend
la venue de sa chanteuse française... Parce que quand il était
petit sa maman lui disait : « Un jour tu rencontreras une fille française
qui te dira « je t'aime jean-Robêêêrt »
Cette fille elle s'appelle Media Fodder et c'est elle la chanteuse du groupe
Family Fodder......
Ouffa! Voilà c'est tout pour ce coup-ci.
Je vous raconterai la suite une autre fois si ça vous plait.
A bientôt.