(Vivonzeureux!, édition papier, n° 1, novembre 1994)
Avec un peu de retard (les premiers disques sont sortis à
l'automne 83), Creation records
a fêté ses 10 ans en juin 94, avec un concert grand-messe baptisé
"Undrugged", au Royal Albert Hall de Londres.
Pour diverses raisons, je n'ai pu faire le voyage de Londres pour assister
à ce concert, mais il semble bien, si l'on en croit les échos
publiés dans la presse, que le but premier de cette manifestation
-faire la fête- soit loin d'avoir été atteint.
10 ans après les débuts du Living Room, dans la salle de billard
du pub L'Adam's Arms de Londres, l'idée avait pu sembler drôle
au premier abord de fêter l'anniversaire du label au R.A.H., l'antithèse
même d'un lieu de concert rock. Et même si la famille royale
n'était pas là pour remuer ses bijoux au balcon, l'ambiance
a paraît-t-il été glaciale. Et le fondateur du label,Alan
McGee, n'a pas fait le déplacement, ce qui donne la mesure de l'étendue
du désastre.
Quant au concert lui-même, une suite de prestations acoustiques de
groupes associés au label et d'idoles influentes (Arthur Lee, The
Creation,), sa programmation était plutôt à trous :
William Reid et Peter Astor ont joué, mais où étaient
les Jasmine Minks, Biff, Bang, Pow!, Lawrence, Momus, et les TVP's ? Et
les Pastels, et Bill Drummond ? Sans parler de Primal Scream, en tournée
aux USA, qui n'ont été présents que par vidéo
interposée.
Cette célébration ratée est peut-être malheureusement
significative du 'mal de vivre' de Creation depuis quelques temps. A 10
ans, un label indépendant est largement d'âge mûr, et
Creation semble vivre avec difficulté sa Crise de Milieu de Vie.
Les effets du rachat par Sony (49 % il y a une paire d'années) commencent
à sa faire visiblement sentir. Petit à petit, Creation devient
une 'étiquette indépendante' pour Sony en Angleterre -ce qui
permet de bénéficier de la crédibilité et de
l'exposition des charts indés- en restant malgré tout un laboratoire
de découverte du futur du rock anglais. Mais ce laboratoire tourne
de plus en plus à vide. Les Boo Radleys et Sugar, qui ont produit
les derniers grands albums Creation, sont tout sauf des 'découvertes'.
Et est-ce vraiment le rôle de Creation de dénicher Oasis, un
groupe post-Stone Roses, qui semble parti pour ne pas tenir le haut de l'affiche
jusqu'à la sortie du 2ème album des Stone Roses ? D'ailleurs,
cette découverte Creation sort en France sur une filiale de Sony
créée pour l'occasion, et non pas sur le label d'Alan McGee.
(Je rappelle que ceci a été écrit courant 94; Oasis
a duré plus longtemps que les Stone Roses, et avec plus de succès,
mais ça ne les rend pas meilleurs pour autant!)
Quant aux signatures Sony que Creation prend sous son aile en Angleterre,
cela peut donner le meilleur (Brenda Kahn) comme le pire : un Link Wray
lobotomisé, ou Hollyfaith.
Heureusement pour les fans de Creation, il reste les disques, et Dieu sait
que Creation en a sortie un sacré paquet de bons. Et pour ceux qui
ont eu l'occasion d'être là, reste le souvenir de ces concerts
au Living Room à £2 pour 3 groupes, avec Alan qui encaissait,
Dick Green aux entrées, Joe Foster sur scène avec les TVP's,
et The Legend! (désormais, en 1997, rédacteur en chef du
Melody Maker) qui vendait le fanzine Communication Blur.
Ici il y aura peut-être bientôt la photo d'Alan McGee au
Living-Room, en février 84, au moment de la fermeture de la salle
par les forces de l'ordre pour non conformité aux normes de sécurité
incendie (cf l'interruption de '3 wishes' des Television Personalities sur
le tout premier album Creation, 'Alive in the living-room'), avec au
mur, les pochettes de disques folk qui décoraient la salle...
Au moment où, le temps passant et la nostalgie aidant, on revient
sur les débuts de Creation, impossible de ne pas avoir une pensée
pour les Jasmine Minks, le groupe sur lequel Creation avait mis la plus
grosse mise tout au long de 1984 (et même après), le groupe
qui a vu tout le monde lui passer devant sur la route du succès,
à commencer par Jesus and Mary Chain.
En effet, il faut savoir que les Jasmine Minks sont le premier groupe extérieur
au cercle des fondateurs à avoir sorti un 45t sur le label ('Think!').
Ils ont été le premier groupe Creation à passer en
tête d'affiche au Living Room. Ils sont les premiers à avoir
eu l'honneur de sortir un album (le 6 titres '1 2 3 4 5 6 7 All good preachers
go to heaven'). Ils ont eu les premiers un de leurs disques réédités
('Where the traffic goes' en 85) et une compilation de leurs singles ('Sunset'
en 86). Ils sont les premiers à avoir eu droit à une tournée
européenne en tête d'affiche (octobre-novembre 84).
Oui mais voilà, il y avait en première partie de cette tournée
Biff, Bang, Pow! et The Jesus and Mary Chain, et le jour même de la
fin de la tournée sortait 'Upside down'. Les critiques, très
favorables aux JM au départ, se sont tournées vers JAMC, puis
vers Primal Scream et Felt, et la gloire n'a jamais repassé les plats
aux Jasmine Minks.
Pourtant, comme on dit, ils avaient tout pour réussir, à commencer
par une paire d'auteurs compositeurs dans la plus pure tradition (Sanderson/Sheperd),
une pop-rock énergique qui puisait avec bonheur son énergie
dans le punk et le garage 60's (Ils pouvaient très bien enchaîner
'Esp' des Buzzcocks avec 'In the past' du Chocolate Watchband), et une enfilade
de 45t ('Think!', 'Traffic', 'What's happening') à en faire pâlir
plus d'un, ponctuée d'un mini-album, que seule la production minimale
des premières sorties Creation affaiblit, avec le recul.
Mais donc, ce ne sont pas, comme prévu, les Visons Jasmins qui ont
percé les premiers. Et du coup, tout a foiré : les disques
ne se sont pas vendus, Adam Sanderson a quitté le groupe après
le 2ème album, et les Jasmine Minks sont vite devenus les souffre-douleur
de Creation et des journalistes.
Pourtant, rien n'était perdu pour le groupe. Jim Sheperd s'est retrouvé
seul leader du groupe, mais les disques sortis sous sa houlette tiennent
au moins autant la route que les premiers. 'Cut me deep' (un vrai classique)
aurait pu sauver le groupe s'il était sorti en single l'année
de son enregistrement (87); mais au lieu de ça il s'est retrouvé
sur la compilation 'Doing God's work' en 88 puis sur l'album 'Another age'.
Au printemps 87, les Jasmine Minks ont donné deux bons concerts en
France, à Reims et chez Paulette, près de Toul. Mais quelques
semaines plus tard, c'est un groupe complètement à côté
de la plaque, jouant faux et pas en place, que j'ai pu voir en concert dans
un pub de Londres.
L'album 'Scratch the surface', sorti en 89, est plus qu'honnête, mais
c'est le chant du cygne du groupe, qui a complètement disparu depuis.
Jim, qui s'était marié quelques temps auparavant, s'est peut-être
"rangé" ?
En tout cas, malgé tous les sarcasmes, Creation semble être
resté toujours fidèle à sa première tête
d'affiche. Même si les budgets étaient riquiquis, le groupe
a pu sortir 4 albums, et le label nous a même gratifiés en
91 d'une deuxième compilation, 'Soul station'.
PS (février 2000): Depuis cet article, les Jasmine minks se sont reformés, ont
gratifié la compilation Vivonzeureux! d'un titre sublime, et
ont sorti un nouvel album
!
DISCOGRAPHIE